Il ne s’agit pas simplement de comparer le comportement des uns et des autres sur une ridicule et subjective
échelle de sociabilité ou d’honnêteté.
En fait le problème est ailleurs. Prenez certes une bonne dose de nature humaine bien trempée,
mais ajoutez-y une grosse liasse d’argent frais et une grande louche de réglementation bien rance :
Vous avez le cocktail Molotov de l’immobilier. C’est cette recette explosive et les entremets qui
l’accompagnent que je souhaite explorer.
Après avoir renvoyé dos à dos les protagonistes, introduit de façon démagogique –
donc on en parle tout le temps - les griefs du public vis-à-vis des agences, et de façon irrévérencieuse
– donc on n’en parle jamais - les griefs des agences vis-à-vis du public,
comment sortir de ces éternelles images d’Epinal ? Faut-il se contenter comme toujours de fustiger les professionnels,
donc comme toujours de n’en attendre aucun résultat ? Faut-il fustiger le public, ce qui serait très
innovant mais probablement très peu apprécié, improductif, et en tout état de cause vivement
déconseillé commercialement par mon éditeur ?
Mon analyse est qu’il faut chercher dans l’organisation même de la profession les gènes
de ce désamour et de certains abus, pardon, d’abus certains, en dépit des progrès
apportés par la loi de Janvier 1970.
Finalement le regard qu’on peut porter sur l’environnement réglementaire de cette activité,
fondé sur cette loi constituante de 1970 mais bien sûr soumis à toutes les autres obligations
légales intervenues depuis au titre de la protection du consommateur, revient à considérer la transaction
immobilière comme une vente classique, et la prestation d’une agence comme le déclenchement commercial
de cette vente. De fait la loi régente donc notre activité au même titre, et même plus sévèrement
par une réglementation spécifique, que le préambule commercial d’une opération principale de vente,
opération principale qui dans tous les autres cas génère l’activité, le chiffre d’affaires,
et bien sur le bénéfice, de l’entreprise.
Le problème, c’est que dans l’immobilier c’est ce « préambule »
qui constitue à lui tout seul l’intégralité de notre business, s’agissant juridiquement et
commercialement de deux ventes distinctes.
Lors de ma « formation » dans les réseaux de franchise que j’ai fréquentés, cet aspect n’était évoqué que sous l’angle de l’argumentaire à développer avec aplomb et sans complexe pour justifier ce montant d’honoraires par la quantité et la qualité du travail effectué. Sans rire. Dix mille euros c’est sept ou huit mille litres de carburant, ou plusieurs centaines d’annonces dans la presse, ou plusieurs centaines d’heures d’un salarié bien payé. Même en combinant les paramètres, il faut être footballeur professionnel pour trouver normal un tel niveau de rémunération : En aucun cas, dans aucune situation, un tel montant ne peut être justifié par un montage économique classique de frais et de marge.
On peut illustrer, par une formule qui peut sembler caricaturale mais qui reflète pourtant exactement la réalité, la différence entre ce « commerce » et les autres : Une personne qui entre dans une boutique quelconque est un client qui dans la grande majorité des cas rapportera plus ou moins d’argent à l’entreprise, et exceptionnellement lui causera des soucis. Une personne qui entre dans une agence immobilière est un client qui dans la très grande majorité des cas coûtera plus ou moins d’argent à l’entreprise, et exceptionnellement lui en rapportera, si…
Les vendeurs (encore une fois je ne parle pas de vous mais des autres, et pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté je parlerai explicitement des autres vendeurs) qui sollicitent les agences pour estimer un bien classent généralement ces estimations en deux catégories : D’une part celles qui sont sous-évaluées parce que les agences les ont faites par dessus la jambe, sans prendre en compte les atouts pourtant évidents du bien. D’autre part celles qui sont scandaleusement sous-évaluées parce que les agences souhaitent vendre très rapidement pour encaisser leurs grasses commissions avec un minimum d’efforts.
Il n’en reste pas moins non plus, pour l’aspect subjectif cette fois, que des consommateurs achètent
la lessive Plublanqueblan parce que la télévision a dit que la lessive Plublanqueblan lave plus blanc que blanc.
Je n’ai rigoureusement aucun outil dans ma trousse pour démonter cet argument imparable. Si vous croyez vraiment
avoir un ami dans l’immobilier, ou si vous êtes tout à fait convaincu que personne ne s’y connaît
aussi bien, ou si vous pensez réellement avoir un service clair, net, et précis, ou si vous êtes illuminés
par le cube jaune, alors allez là où dit votre téléviseur.
Comme votre téléviseur ne connaît peut-être pas personnellement les agences proches de chez vous, et
l’immobilier restant avant tout une affaire de proximité, vous pouvez aussi aller là où vous conseillent
vos proches. S’ils sont satisfaits au point de vous conseiller, c’est assez rare pour en tenir compte, que l’agence
soit franchisée, d’un réseau ou d’un autre, ou pas.
En résumé dans le commerce classique on essaie de vous vendre un produit dont vous n’avez pas besoin ou deux fois plus cher que celui dont vous avez besoin : C’est la logique commerciale. Alors que dans l’immobilier on essaiera peut-être de vous vendre n’importe quoi, mais quelque chose qui ressemble quand même vaguement à votre besoin et pas forcément deux fois plus cher que ce que ça vaut. C’est la logique immobilière. Convenez-en, ceci est extrêmement rassurant…
Beau potentiel : Possibilité hasardeuse de rendre un bien presque normal après avoir passé beaucoup de temps et dépensé beaucoup d’argent.
Je m’adresse donc aux autres responsables immobiliers, ceux dont la déontologie inoxydable est aussi démodée et stérile dans le monde économique actuel que le romantisme l’est dans le monde affectif ; ceux qui ont un sens du service tellement inné que si la gratuité des prestations n’existait pas, ils l’inventeraient ; ceux qui n’ont pas encore compris que la société est faite de proies et de prédateurs et qu’il faut choisir son camp; ceux qui pleurent la misère d’une conjoncture défavorable et se lamentent d’une récompense concrète si éloignée de leurs méritoires efforts. Je souhaite tenter de les aider à s’en sortir.
Les agences ont du pain sur la planche pour redorer leur blason complètement délavé, si une réglementation plus intelligente leur tend la main. Que ce soit sur plan du droit ou sur celui de l’éthique, les notaires dépositaires de l’autorité de l’état et bien contents d’en capitaliser le prestige se devraient d’être encore plus irréprochables que les entreprises privées que sont les agences. Les notaires ont donc aussi de quoi s’occuper et balayer devant leur porte plutôt que de concurrencer les agences, et cela jusque dans leurs errements.
Les transactions immobilières se sont faites pendant des siècles sans ces contrôles, mais la société accepte
de moins en moins les situations de panne, de défaillance, d’accident, de lésion. Soit. Cette évolution ne justifie
pas pour autant cette cascade d’exigences bureaucratiques, cette avalanche de contrôles pseudo sécuritaires
et pseudo moralisateurs qui ne portent pas sur l’essentiel.
Je préconise de les remplacer par une véritable expertise réalisée par un véritable expert en bâtiment
qui déterminera le véritable état du bien et sera assez avisé pour flairer au passage l’amiante, le plomb,
l’humidité, le virus de la grippe A, et les risques (ou les chances) de chute de la belle mère dans l’escalier,
si c’est intelligent de le signaler et pas seulement si c’est réglementaire.
Conformément à la formule bien connue « tout travail mérite salaire », n’importe quel salarié qui signe un contrat de travail, n’importe quelle entreprise qui enregistre une commande, n’importe quel commerçant qui vend un produit ou un service, est à peu près sur(e), sauf accident ou escroquerie, d’être payé(e). Chez les agents immobiliers l’adage prend donc une résonance particulière puisque la loi ne leur offre la possibilité d’être payés qu’une fois de temps en temps. Si l’on se rappelle la proportion évoquée précédemment, ils sont même à peu près surs de ne pas l’être.
Quelle situation dans laquelle une entité quelconque n’a jamais aucune garantie d’être payée pour son travail et in fine une chance statistiquement minime de l’être, ne conduirait pas à des dérives ?
Première édition papier
178 pages
15.00 € TTC, port 4.05 €