Extraits du livre : Mélanie Nila - Etranges rencontres à Granville

Mélanie

Mélanie était donc la deuxième et dernière enfant de la famille. Elle avait dix-neuf ans et était belle comme un ange. Sans doute eût-il fallu d’ailleurs inverser le propos et dire plutôt que les anges devaient être beaux comme Mélanie, car rares sont assurément ceux qui avaient vu des anges alors qu’aucun témoignage sur Mélanie ne passait sous silence sa grande beauté. Elle avait un corps de sirène souligné par de longs cheveux bruns ondulés, qu’elle brossait avec soin bien qu’Eugénie déplorait qu’ils fussent mal coiffés parce qu’ils n’étaient ni tirés par des épingles ni relevés en chignon. Ses grands yeux sombres semblaient receler toute la candeur et en même temps toute la malice du monde. Elle pétillait d’intelligence et de charme, et il n’était pas étonnant qu’elle fît la fierté du Grand Louis.

Désobéissance

- Des contrebandiers !

- Mais alors, s’ils font des signes vers ici, c’est qu’il y en a d’autres pour les recevoir, là, sous nos pieds ?

A cette pensée Mélanie frémit. Mais ce n’était pas un frémissement de peur, plutôt une sorte d’excitation d’être mêlée à quelque chose d’insolite, d’inhabituel, alors qu’il ne se passait rien que de bien paisible dans sa vie. En dehors du véhicule de ce prétentieux ingénieur du ministère qui devait se figurer de façon très masculine que le charme de son automobile rejaillissait sur sa personne, les environs semblaient même désespérément à l’écart de tous les progrès dont parlait le Républicain. C’était à tel point qu’on pouvait se demander si ce n’était pas que sornettes et boniments, et qu’il faudrait bien aller voir pour vérifier. Alors des contrebandiers à deux pas de chez elle, voilà qui était de nature à décupler sa curiosité. Pour un peu, ces hors-la-loi lui seraient presque déjà sympathiques !

Première rencontre

Son bain forcé dans l’eau salée, et qui plus est dans ce tourbillon plein d’écume et de déchets de varech, lui avait laissé les cheveux et les habits tout poisseux. Elle s'allongea toute habillée dans le Lude, qui lui parut presque chaud en comparaison de la fraîcheur de l’air en ce tout début de matinée, alors que la lune était encore visible dans le ciel qui commençait à peine à s’éclaircir, et elle se rinça de la tête aux pieds. Puis elle sortit de la rivière et ôta ses pantalons et sa chemise qu’elle posa sur les branches des buissons pour les faire sécher. Elle se souvenait des remontrances de son père, mais personne ne pouvait passer par ici à cette heure très matinale, et la marée maintenant basse avait déjà éloigné de la plage les pêcheurs les plus courageux. Elle regarda pourtant plutôt deux fois qu'une dans toutes les directions, écouta attentivement, et parfaitement assurée que personne ne pouvait la voir, se déshabilla complètement. Puis, comme animée néanmoins d’un mouvement de grande pudeur, elle attrapa le morceau d’étoffe ramassé dans la grotte et le noua autour de sa taille.

Deuxième rencontre

Quand ils arrivèrent au niveau de Mélanie, celle-ci chercha à se recroqueviller davantage tout en tendant la tête pour essayer de découvrir le visage des deux hommes qu’il était impossible de reconnaître avec le col de leurs vestes cirées remonté jusqu’au nez et le chapeau enfoncé jusqu’au yeux. Hélas elle était engourdie par sa station accroupie depuis un bon moment maintenant et sa jambe la plus réfractaire échappa à son contrôle. Elle fit glisser une pierre dans le ruisseau avec un bruit qui dans le silence de la nuit résonna dans sa tête comme une déflagration de tonnerre. Malgré la douleur de la crampe qui en toute autre circonstance l’aurait conduite à se détendre et sans doute à crier, Mélanie se figea avec le cœur qui battait à se rompre dans sa poitrine.

Depuis leur rencontre les deux hommes n’avaient pas échangé une parole tant leurs rôles respectifs devaient être parfaitement rôdés mais l’un d’eux rompit le silence d’une voix sèche:

- Qu’est-ce que c’est ?

- Y’a un type, là !

- Assomme-le, vite !

Discrets voisins

A quelques centaines de mètres de là Séraphin Delaunay et son épouse Honorine étaient dans un champ pour aider une de leurs vaches à vêler. Les choses ne se passant pas très bien depuis le début de la soirée ils étaient encore là à cette heure avancée de la nuit. Leur attention attirée par un hululement ils levèrent les yeux en direction de la grange. Ils crurent voir d’abord une forme blanche disparaître rapidement vers la mer et presque au même moment la silhouette reconnaissable entre toutes de la môme aux foulards s’éloigner dans la direction opposée. Ils restèrent un moment sans bouger, comme pétrifiés, puis, quand les deux ombres eurent disparu et se demandant s’ils avaient eu une hallucination, firent un signe de croix avant de partir chez eux en courant, laissant la pauvre bête à sa besogne naturelle. Le lendemain matin ils trouvèrent le veau mort-né. Plus assuré par la lumière du jour Séraphin se rendit jusqu’à la ruine où il trouva le foulard accroché au gond. Ils n’avaient pas rêvé. Un grand frisson le parcourut. Quand il rapporta la nouvelle à Honorine celle-ci fit un nouveau signe de croix et se rendit immédiatement à l’église pour demander l’aide du Seigneur.


Première édition papier
255 pages
17.00 € TTC, port 4.05 €